Si vous vous êtes déjà promené le long du port de l’Épervière à Valence, vous avez sûrement remarqué la silhouette imposante et rouillée d’un bateau échoué : l’Ardèche. Derrière cette carcasse de métal se cache une incroyable histoire fluviale, celle d’un toueur, un remorqueur hors du commun, témoin du passé industriel du Rhône.
Le toueur est un bateau remorqueur spécifique du XIXe siècle. Contrairement aux remorqueurs classiques, il avançait grâce à un système d’auto-halage : il tirait sur une chaîne ou un câble en acier fixé à chaque extrémité du fleuve et reposant sur le fond. Ce mécanisme ingénieux permettait au bateau de remonter les courants les plus puissants tout en tractant des chalands non motorisés chargés de marchandises.
L’Ardèche, le géant des eaux vives
Construit en 1896, l’Ardèche était un véritable monstre fluvial :
- Longueur : 53 mètres
- Largeur : 8 mètres
- Poids : 325 tonnes
- Tirant d’eau : seulement 90 cm, lui permettant de naviguer même lorsque le Rhône était au plus bas
Son pont avant incliné lui permettait d’engloutir un câble d’acier de près de 15 kilomètres, garantissant ainsi une traversée sûre et efficace, malgré la violence des eaux.
L’Ardèche assurait des liaisons entre Pont-Saint-Esprit et Tournon, là où les courants étaient les plus redoutables. Lorsqu’il atteignait un point d’ancrage sur la berge, il passait le relais à un remorqueur qui poursuivait la descente du fleuve avec les embarcations attachées.
Un destin bouleversé par le progrès
Le développement des remorqueurs à moteur et la montée en puissance du chemin de fer au début du XXe siècle ont peu à peu rendu les toueurs obsolètes. En 1936, la grande époque de ces bateaux touche à sa fin. Pourtant, l’Ardèche fait figure d’exception et poursuit son service jusqu’en 1974.
Il est alors utilisé par la Société des Grands Travaux de Marseille pour participer à la construction des barrages de Donzère et Charmes.




Le sauvetage manqué et l’oubli
Après avoir coulé une première fois, le bateau est renfloué. Grâce à Pierre Bonnet, maire de La Coucourde (Drôme), et à l’association des amis de la batellerie, l’Ardèche échappe de justesse à la casse. En 1983, il est déplacé au port de l’Épervière dans l’idée de devenir la pièce maîtresse d’un musée de la batellerie du Rhône… qui ne verra finalement jamais le jour.
En 1996, une procédure de ferraillage est lancée par les Voies Navigables de France (VNF), mais une intervention de la Conservation des Monuments Historiques permet de suspendre cette décision.
Malgré plusieurs études, dont une en 2004 préconisant des mesures d’urgence pour stabiliser l’épave, aucune restauration concrète n’a été engagée. En 2013, la domanialité de l’Ardèche est officiellement attribuée à la VNF.
Un monument oublié… mais encore debout
Aujourd’hui, l’Ardèche repose toujours dans la vase, à l’entrée du port de l’Épervière. Témoin silencieux d’une époque révolue, il fait partie du patrimoine fluvial de la région et rappelle la mémoire des hommes et des machines qui ont lutté contre les colères du Rhône.
Si le projet de le classer monument historique n’a jamais abouti, certains continuent de s’interroger sur son avenir. Pourquoi ne pas relancer l’idée de sa préservation ? Car comme le rappelle une phrase qui résonne fort :
Alors, lors de votre prochaine balade le long du Rhône, prenez un instant pour l’observer. Car chaque rivet rouillé, chaque plaque tordue de l’Ardèche raconte un morceau de l’histoire industrielle et fluviale de la région.






















